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Adieu, Mary Quant !

L'ÉPOQUE - Mary Quant, la mère de la minijupe, nous a quitté aujourd’hui à l'âge de 93 ans.


13.04.2023 © L'ÉPOQUE PARIS


Par Pauline Barbier



Mary Quant, la créatrice britannique qui a révolutionné la mode et incarné le style des Swinging Sixties, une philosophie ludique et juvénile issue de la rue et non d'un atelier parisien, est décédée ce jeudi chez elle à Surrey, dans le sud de l'Angleterre. Connue comme la mère de la minijupe, elle avait 93 ans.

L'Angleterre sortait de ses privations d'après-guerre quand, en 1955, Mme Quant et son petit ami aristocratique, Alexander Plunket Greene, tous les deux âgés de 21 ans et tout juste sortis de l'école d'art, avaient ouvert une boutique appelée 'Bazaar' sur King's Road à Londres, au cœur du quartier Chelsea. Mme Quant l'avait remplie avec les tenues qu'elle et ses amis bohèmes portaient, "une bouillabaisse de vêtements et d'accessoires", comme elle l'avait écrit dans une autobiographie, "Quant on Quant" (1966) : des jupes courtes évasées, des robes chasuble, des chaussettes hautes et des collants, des bijoux "funky" et des bérets dans toutes les couleurs.

Les jeunes femmes de l'époque tournaient le dos aux formes corsetées de leurs mères, à la taille cintrée et à la poitrine en proue de navire, la forme de Dior, qui dominait depuis 1947. Elles refusaient l'uniforme de "l'establishment" (la caste dirigeante) - cheveux laqués, twin sets, talons et accessoires assortis - dont le modèle était généralement dans la trentaine, pas une jeune gamine comme Mme Quant.

Mécontente de ne pas trouver des tenues qui la satisfaisait, Mme Quant les avait fabriquées elle-même avec des tissus achetés au détail au grand magasin de luxe Harrods en les cousant dans son lit où son chat siamois avaient l'habitude de manger les patrons signés Butterick qu'elle utilisait pour le découpage des modèles.

Les bénéfices étaient insaisissables au cours de ces premières années, mais la boutique avait été un succès dès le départ, avec des jeunes femmes déshabillant l'endroit presque quotidiennement, attrapant parfois de nouveaux vêtements des bras de Mme Quant alors qu'elle se dirigeait vers le magasin. Elle et M. Plunket Greene le géraient comme l'un des cafés qu'ils fréquentaient, comme un lieu de rencontre et une fête à toute heure avec un fond de jazz. Ils avaient également fait de leurs vitrines une performance avec des mannequins spécialement conçus par un ami afin de ressembler aux jeunes femmes qui y faisaient leurs courses - «les oiseaux», selon les mots de Mme Quant, en utilisant une expression de l'époque - des personnages aux traits acérés, pommettes marquées, coupes de cheveux à la mode, silhouettes élancées et pieds effilés, parfois renversés ou pulvérisés de blanc, certains avec des têtes chauves et des lunettes de soleil rondes, habillés avec de maillots de bain à rayures et des guitares.

Par ailleurs, n'ayant les deux aucun talent pour la comptabilité, ils empilaient ses factures en tas en payant ses fournisseurs de haut en bas des piles. Leurs fournisseurs étaient souvent payés deux fois, voire pas du tout, selon leur place dans la pile. Une décennie plus tard, Mary Quant était une marque mondiale, avec des licences dans le monde entier - elle avait été nommée officière de l'Ordre de l'Empire britannique en 1966 pour sa contribution aux exportations britanniques - et des ventes qui atteignaient près de 20 millions de dollars. Lors de sa tournée aux États-Unis avec sa nouvelle collection, elle avait été accueillie comme un cinquième "Beatle"; à un moment donné, elle avait eu besoin d'une protection policière. Les journaux avaient annoncé : "Quant attend un ourlet plus haut", ajoutant que Mme Quant avait "prédit que la minijupe était là pour rester".

Il y avait des collections signées Mary Quant chez J.C. Penney et dans plusieurs boutiques de New York. Il y avait du maquillage Mary Quant pour les femmes et pour les hommes emballé dans des boîtes de peinture, de faux cils vendues au mètre, de la lingerie, des collants, des chaussures, des vêtements d'extérieur et des fourrures. Dans les années 1970, il y avait également des draps, de la papeterie, de la peinture, des articles ménagers et une poupée Mary Quant, Daisy (marguerite en anglais), du nom du logo en forme de marguerite de Mme Quant.

"Aujourd’hui cet prototype de styliste-célébrité fait partie intégrante du système de la mode moderne mais c'était rare dans les années '60 quand Mary était ambassadrice de sa propre marque ", avait-elle déclaré Jenny Lister, co-commissaire d'une rétrospective de Mme Quant au Victoria & Albert Museum de Londres. "Elle ne s'est pas contentée de vendre de "l’excentricité" britannique, elle était elle-même un modèle d'"excentricité" britannique et la dernière fille de Chelsea."

"J'ai grandi en ne voulant pas grandir", a-dit-elle un jour Mme Quant. « Grandir semblait terrible. Pour moi, c'était horrible. Les enfants étaient libres et sains d'esprit, et les adultes étaient horribles". Barbara Mary Quant est née le 11 février 1930 à Blackheath, au sud-est de Londres. Ses parents, John et Mildred (Jones) Quant, étaient des enseignants gallois issus de familles minières et étaient déterminés à ce que leurs deux enfants, Mary et Tony, suivent des cheminements de carrière conventionnels.

Cependant, Mary voulait absolument étudier la mode. Lorsqu'elle avait reçu une bourse d'études au Goldsmiths College (aujourd'hui Goldsmiths, University of London), axé sur les arts, ses parents avaient fait un compromis : elle aurait pu la fréquenter à condition de se diplômer en éducation artistique (elle avait fait des études d'illustration). C'est là qu'elle avait rencontré M. Plunket Green, un aristocrate excentrique (le philosophe Bertrand Russell était son cousin, tout comme le duc de Bedford) qui portait un pyjama en soie shantung doré de sa mère en classe lors de ses rares fréquentations et qui jouait du jazz avec une trompette - un personnage tout droit sorti d'un roman d'Evelyn Waugh (Waugh était une ami de sa famille).

Ils avaient tous les deux 16 ans et ils étaient devenus inséparables. Ils rigolaient des farces et de l'attention qu'ils attiraient sur leurs tenues ; une fois M. Plunket Greene avait peint des boutons sur sa poitrine nue pour imiter les boutons d'une chemise habillée. Les passants, se souvient Mme Quant dans ses mémoires, murmuraient : « Dieu, regarde cette jeunesse moderne ! une devise que le couple avait adoptée: "Shall we be Modern Youth tonight?". Plus tard, en 1957, Mme Quant et M. Plunket Greene s'étaient mariés et ils avaient eu un fils, Orlando Plunket Greene, et trois petits-enfants.


Ils avaient rencontré Archie McNair, un avocat devenu photographe portraitiste et qui tenait un café sous son studio à Chelsea, avec qui ils avaient décidé de fonder une société ensemble. Avec un investissement de 5 000 livres chacun, les trois avaient acheté un immeuble au 138a King's Road et baptisé une nouvelle boutique avec le nom 'Bazaar'. Mme Quant, qui à l'époque travaillait au service d'une modiste, avait alors quitté son emploi pour se consacrer à son nouvel empire.

Grâce à Bazaar, King's Road était devenu l'épicentre de la mode britannique, et Londres l'épicentre du soi-disant "tremblement de la jeunesse", comme le disait Vogue à l'époque. Mme Quant en était son avatar, habillée de ses vêtements et ses bottes signature, avec ses grands yeux maquillés, un visage pâle parsemé de fausses taches de rousseur et son célèbre carré qui avait fait la fortune de son coiffeur, Vidal Sassoon. Sa coupe dite "wash-and-wear" avait été un coup mortel aux coupes bouffantes à l'instar de la minijupe qui l'avait été pour le twin-set. "Vidal a mis le dessus", disait souvent Mme Quant.

Bien consciente du potentiel du marché, Mme Quant avait donc opté pour la production industrielle, pour l'utilisation de matériaux synthétiques et la création de vêtements dits de 'fast fashion' (mode rapide) qui pouvaient être facilement achetés et remplacés par ses jeunes clientes. Captivée par le coton plastifié en PVC, elle fabriquait des imperméables à l'apparence cirée, des bottes en plastique moulé aux couleurs vives avec des talons transparents en forme de "glaçons" (“ice cube”) et des hauts zippés.

"Pourquoi les gens ne peuvent-ils pas voir ce qu'une machine est capable de faire elle-même au lieu de lui faire copier ce qui fait la main ?" Mme Quant avait déclaré en 1967. « Ce que nous devrions faire, c'est prendre les produits chimiques et créer directement le tissu ; nous devrions souffler les vêtements comme le verre soufflé. C'est ridicule que le tissu doive être coupé pour faire une chose plate qui entoure une personne ronde.." Elle avait ensuite ajouté : « C'est ridicule, à l'ère des machines, de continuer à faire des vêtements à la main. La mode la plus extrême doit être à très, très bon marché. D'abord parce que seuls les jeunes osent le porter ; deuxièmement, parce que les jeunes y sont mieux adaptés ; et troisièmement, parce que si c'est assez extrême, ça ne devrait pas durer.."



En 2000, Mme Quant avait démissionné de son poste de directrice de Mary Quant Ltd., après avoir été rachetée – ou expulsée, comme certains rapports l'ont affirmé – par le directeur général de la société. En 2009, elle avait été honorée par le Royal Mail avec son propre timbre-poste, mettant en vedette un mannequin portant une minijupe évasée noire de la marque Mary Quant. En 2015, Mme Quant avait été intitulée "Dame". La façade autrefois occupée par le nom Baazar est maintenant un bar à jus surmonté par une plaque commémore à la mémoire de "Dame Mary Quant".

Au printemps 2019, lorsque le Victoria & Albert Museum a présenté une rétrospective de son travail, une exposition vibrante de 120 création de son apogée, les curateurs avaient exposé un collage de photos et de souvenirs de milliers de femmes qui avaient partagé leur créations Mary Quant préférées ainsi que des anecdotes sur la façon dont elles les avaient portées en tant que jeunes femmes libre se dirigeant vers des entretiens professionnels ou des premiers rendez-vous, un hommage puissant à l'héritage de Mme Quant et au féminisme naissant de son époque.

Mais, a-t-elle vraiment inventé la minijupe ? André Courrèges, le designer français de l'ère spatiale, a longtemps revendiqué sa création et il est vrai qu'il rehaussait régulièrement ses ourlets au début des années 60. Mais Mme Quant, comme l'a souligné l'historienne de la mode Valerie Steele, a coupé ses ourlets à partir du moment où Bazaar a ouvert ses portes en 1955, principalement en réponse à ses clients, qui réclamaient des jupes toujours plus courtes.

"Nous étions au début d'une formidable renaissance de la mode", a écrit Mme Quant dans son autobiographie de 1966. «Ce n'est pas arrivé à cause de nous. C'était simplement que, comme les choses se sont avérées, nous en faisions partie. Les bons designers, ainsi que les journalistes intelligents, savent que pour avoir une quelconque influence, ils doivent répondre aux besoins du public », écrivait-elle, "et s'inspirer par ce 'quelque chose dans l'air' d'intangible. Il m'est arrivé de commencer quand 'ce quelque chose dans l'air' était sur le point de bouillir".



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