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Irene Pivetti de retour sur la "Route de la Soie"
L'ÉPOQUE - Irene Pivetti, journaliste et femme politique, ancienne présidente de la Chambre des députés en Italie et Secrétaire générale du club diplomatique Nereides Club - International Cultural Diplomacy Corporation, à la tête d'une nouvelle mission de diplomatie culturelle en Chine sur les traces de la Nouvelle Route de la Soie.
09.07.2023 © L'ÉPOQUE PARIS
Par Olivier Gaillard

Irene Pivetti sur la Une de L'ÉPOQUE Numéro 10 du mois de juillet 2023 - Photographie de © Abraham Caprani
Le 8 septembre 2013, lors de sa visite à Astana, le président chinois Xi Jinping avait invité les pays d'Asie centrale à reconstruire une "ceinture économique de la route de la soie", un projet transeurasien de routes terrestres et maritimes sur les cinq continents qui, s'étendant du Pacifique à la mer Baltique, aurait impliqué près de trois milliards de personnes représentant le plus grand marché au monde avec un potentiel inégalé. Ce gigantesque projet d’infrastructures de 800 milliards d’euros devait relier la Chine à toutes les parties du monde, y compris le pôle Nord. Il s’agissait de ressusciter les antiques routes de la soie du début de notre ère, qui ont servi pendant des siècles au commerce des biens, de l’argent, des techniques et des idées, confortant la suprématie chinoise. C’est au titre des Nouvelles Routes de la Soie que la Chine a par exemple racheté le port du Pirée, en Grèce. Les projets initiaux allaient même jusqu’à l’atlantique français, avec comme point d’arrivée la ville de Brest.

Rencontre entre le président Xi Jinping et son homologue kazakh Nursultan Nazarbayev à Astana - Photographie de © ILYAS OMAROV/AFP
Dix ans plus tard, c’est plutôt la déroute de la soie. L’effondrement financier de dizaines de pays qui avaient contracté des prêts à Pékin, pour financer ces infrastructures. À cause de la hausse des taux d’intérêt, de la montée du cours des matières premières qui étrangle certaines économies, de l’appréciation du dollar qui a aussi renchéri certains emprunts et du management épouvantable des constructions, les routes, les ports, les ponts, les barrages, par les entreprises chinoises. Selon une étude de AidData et de la Harvard Kennedy School, la Chine a dû débourser plus de 200 milliards d’euros de prêts et de refinancement d’urgence, dont la moitié sur les seules trois dernières années. Pékin a été contraint d’organiser 128 opérations de sauvetage financier, pour 22 pays. L’idée était simple, il s’agissait de faire travailler les entreprises de BTP chinoises dans le monde entier, en faisant payer les pays grâce à des prêts léonins des banques chinoises – les taux à 5% étaient courants, alors que les organismes internationaux prêtaient à 2. Donc, ils ont construit n’importe quoi, ce qu’on appelle des éléphants blancs. Sans aucun souci environnemental, souvent avec des affaires de corruption. Une route sans destination construite au Monténégro pour un milliard de dollars, un barrage en Équateur, installé tout près d’un volcan actif, sur lequel on compte déjà 7000 fissures, un gigantesque port au Sri Lanka, construit dans la ville natale du président, surdimensionné et finalement saisi par les chinois à cause d’impayés. Les déboires ont mis un coup de frein sur le déploiement de ces routes. Mais le projet de mettre en place une mondialisation alternative, subsiste lui, pour rivaliser avec les Américains, avec ou sans infrastructures. La guerre d’Ukraine lui a même donné un coup d’accélérateur, puisque la Chine se présente désormais comme le maître du monde non occidental, et qu’elle est devenue le premier partenaire commercial de la Russie.

Le président Xi Jinping au Sommet Chine-Asie centrale du 19 mai 2023 à Xi'an.
Le 19 mai 2023, Xi Jinping bétonne la Nouvelle Route de la Soie en annonçant un plan programmatique en tandem avec les cinq anciennes républiques soviétiques. Le quartier général, Xi'an, est l'ancienne capitale chinoise d'où partaient autrefois les routes des caravanes vers l'Ouest. Ici même le mois dernier s'est tenu le sommet C+5C. Non seulement c'est la première fois depuis la chute de l'Union soviétique que les dirigeants de la Chine (les C), du Kazakhstan, du Kirghizistan, du Tadjikistan, de l'Ouzbékistan et du Turkménistan (les 5C) se rencontrent en personne mais la symbolique est également renforcée par le contexte international actuel: la guerre en Ukraine et le refroidissement des relations entre Moscou et les Stans, et le chevauchement avec le G7 à Hiroshima. À cela s'ajoute la nécessité de donner un nouvel élan à un projet qui, autrefois fer de lance de la "Xiplomatie", est désormais associé au très fort endettement des pays concernés.

Le président du Kazakhstan Kassym-Jomart Tokayev, le président Sadyr Japarov du Kirghizistan, le président du Tadjikistan Emomali Rahmon, le président chinois Xi Jinping, le président du Turkménistan Serdar Berdymukhamedov et le président Shavkat Mirziyoyev d'Ouzbékistan.
Difficile de ne pas voir une inspiration "revancharde" voilée dans le sommet chinois. Ne serait-ce que pour le style "néo-impérial" des tentures et des lanternes rouges, des vestiges d'une époque où l'Empire du Milieu contrôlait encore le "cœur de l'Asie" avant d'être vaincu militairement par les populations barbares, bien avant que la région ne devienne l'"arrière-cour" de Moscou. Y retourner aujourd'hui a donc l'air d'une revanche. Néanmoins pour Pékin, l'Asie centrale, riche en ressources naturelles et toujours à la croisée des chemins entre l'Est et l'Ouest, a avant tout une valeur économique plus que politique. C'est pourquoi le parallélisme avec la réunion du G7 à Hiroshima doit être manié avec prudence. Par ailleurs, la pénétration de la Chine dans les Stans n'est pas nouvelle, elle a commencé il y a au moins trente ans. Il en va de même pour le C+5C, qui tourne depuis 2015.
C'est dans ce contexte que le Nereides Club - International Cultural Diplomacy Corporation a organisé une nouvelle mission de diplomatie culturelle en Chine visant la compréhension des stratégies associées à la Nouvelle Route de la Soie et au renforcement du dialogue culturel et économique entre les institutions, les associations et les entreprises chinoises et européennes. Madame Irene Pivetti, Secrétaire générale du Nereides Club, a été nommée à la tête de cette toute nouvelle mission presque deux ans après la dernière expédition au Kurdistan irakien à l'automne 2021 et suite à la réouverture des frontières en Chine après la diffusion de la pandémie de Covid-19.

Irene Pivetti lors d'une conférence en Chine sur la coopération internationale avant la pandémie de Covid-19.
Journaliste, femme politique, mais aussi entrepreneuse, Irene Pivetti est sans aucun doute l'une des personnalités les plus controversées de la scène politique italienne de ces dernières années. Déjà au sommet de sa carrière, après avoir présidé la Chambre des députés en Italie de 1994 à 1996 à seulement 31 ans, elle avait été exclue du parti politique dans lequel elle servait pour s'être frontalement opposée à la scission proposée par la Ligue du Nord. Par la suite, Irene Pivetti a occupé d'autres fonctions politiques en Italie et a étendu son action à l'Asie, notamment en Chine, participant à la création d'un nouveau pont économique entre l'Orient et l'Occident. Irene Pivetti est en effet présidente de l'Association italienne pour l'amitié avec le peuple chinois, une branche de l'organisation Chinese People Association for Friendship with Foreign Countries (CPAFFC), et elle-même a accompagné de nombreuses entreprises européennes dans leur pénétration du marché chinois. Récemment, Irene Pivetti a également été nommée présidente d'honneur de la World Green Design Organization (WGDO) qui l'attend dans ce nouveau voyage diplomatique qui débutera demain, le 10 juillet 2023. Première étape Pékin pour des rencontres institutionnelles mais aussi commerciales et une conférence que Pivetti tiendra dans les prochains jours à l'Université de Renmin sur le thème de la durabilité et de la transition écologique et numérique des entreprises, l'une des activités promues par le Nereides Club depuis 2021. Enfin, Irene Pivetti se rendra à Hainan pour des rencontres visant à une plus grande interaction avec le plan de développement culturel et économique de l'île avec une attention particulière à l'éco-conception et à la protection de l'environnement.
«L' Asie centrale peut encore jouer un rôle crucial dans la stratégie étrangère de Pékin. Surtout aujourd'hui que l'isolement croissant en Occident rend encore plus nécessaire de cultiver des relations cordiales avec ce qu'on appelle le Sud global. Avec un œil sur le G7 et l'autre sur la guerre russo-ukrainienne, Xi'an a parlé de nouveaux gazoducs, de commerce et d'investissements bilatéraux, mais aussi de respect de "la souveraineté, l'indépendance, la sécurité et l'intégrité territoriale" de tous les Pays". Je travaille avec l'Asie depuis de nombreuses années et je pense qu'il est nécessaire d'explorer de nouvelles formes de collaboration avec la Chine. À cet effet, j'ai personnellement nommé Madame Irene Pivetti, Secrétaire générale du Nereides Club, à la tête d'une nouvelle mission diplomatique de quinze jours en Chine visant des rencontres sélectives avec des personnalités politiques, des associations nationales, des universités, des chefs d'entreprise et des médias. Irene Pivetti a une très longue expérience avec la Chine dans le domaine public et privé à la fois, et je lui fais confiance depuis des années. Elle soutient les initiatives culturelles de notre club avec dévouement et, tout au long de sa carrière, elle a fait preuve de détermination et de résilience même face à de nombreux obstacles juridiques et politiques parfois très complexes. Je suis bien conscient d'un certain degré d'ostracisme politique envers la Chine de la part de plusieurs pays, mais ce dernier ne doit pas être toléré, au contraire, il faut s'y opposer. Très souvent, ce sont les plus courageux qui en paient le prix, comme c'est parfois arrivé à Madame Pivetti elle-même, mais nous poursuivons notre mission de renforcement des relations internationales avec d'autres États même si cela implique de nous exposer à des risques ou à des controverses. Pivetti a fait de nombreux efforts pour créer une amitié sino-européenne durable et très souvent au centre de disputes. Son dévouement à l'État et sa confiance n'ont pas faibli même face à de graves événements visant à l'exclure de la scène politique italienne. Je témoigne d'une fureur politique en Italie contre Pivetti qui s'est traduite par des poursuites judiciaires incohérentes, infondées et incompréhensibles contre une personne qui a servi l'État toute sa vie. Cependant, la foi inébranlable de Pivetti dans la souveraineté nationale et dans la justice me laissent toujours sans voix. Je la respecte en tant qu'individu, politicienne et citoyenne. Personnellement, je suis beaucoup plus sceptique quant à la justice tant dans le domaine politique que judiciaire. Un réveil politique s'impose. C'est pourquoi j'ai voulu Irene Pivetti sur la Une de L'ÉPOQUE de ce mois-ci, car elle est un véritable exemple de dévouement à l'État, de résilience et d'obstination contre toute opposition idéologique, politique ou culturelle et cela correspond aux idéaux de notre club. Je crois fermement au pouvoir de la coopération internationale, nous devons nous opposer fermement à toute action politique de blocage envers d'autres États. À notre époque, le succès ne s'obtient pas par une poigne de fer politique mais par une planification économique à laquelle nous voulons et devons participer. Il en va de même pour la diplomatie internationale : plutôt que d'intervenir par la coercition militaire dans le règlement des conflits, il vaudrait mieux les prévenir par une action diplomatique basée sur le dialogue et la coopération internationale. Le monde se divise à nouveau en blocs et, tant politiquement qu'économiquement, cela ne peut être toléré. Il faut surtout s'opposer à la localisation des marchés et la Route de la Soie veut justement ouvrir de nouveaux couloirs économiques mais aussi diplomatiques. Je suis conscient des échecs de la toute première tentative d’actualisation de ce projet, mais je suis également conscient des implications positives que cela pourrait signifier la création d'un nouveau réseau de collaboration internationale entre orient et occident, mais à ce tour avec un certain degré de prudence. C'est pourquoi des voyages d'exploration et de dialogue avec les pays concernés sont nécessaires. Là où la politique ne parvient pas à aplanir les conflits, voire à les renforcer, la diplomatie culturelle intervient avec la force du "soft power", de la médiation et du dialogue»,, a-dit-il le Prince Nereides Antonio Giamundo de Bourbon, fondateur et président du Nereides Club.

Le projet de la Nouvelle Route de la Soie
La réouverture progressive de la Chine après trois ans de Covid a incité le gouvernement à accélérer le développement des liaisons routières et ferroviaires avec les Pays voisins. Pensez au chemin de fer qui relie la province chinoise du Yunnan au Laos, premier tronçon d'un réseau indochinois qui devrait rejoindre la Thaïlande et Singapour dans le futur. Dès son origine, le Xinjiang, région du Far West chinois à la frontière avec le Kazakhstan, le Tadjikistan, le Kirghizistan, l'Afghanistan et le Pakistan, a joué un rôle central dans ce plan de développement des banlieues. Depuis ses débuts, la "Nouvelle Route de la Soie" - ou plutôt sa branche terrestre (la ceinture économique de la Route de la Soie) - devait précisément servir à dynamiser la région occidentale, trop éloignée des côtes pour bénéficier d'une croissance économique encore largement axée sur l'exportation. Cependant, avant même la pandémie, le grand plan de Xi a été rapidement mis de côté : lorsque de violentes attaques se sont produites, attribuées à des infiltrations djihadistes à travers la frontière, le gouvernement central a répondu par la rééducation forcée des minorités islamiques qui peuplent le Xinjiang. La région est confinée depuis plusieurs années et la "Silk Road Economic Belt" gelée. Avec les "écoles" fermées et les politiques sanitaires contre le Covid démantelées, on a depuis quelque temps l'impression que Pékin veut revenir aux anciennes politiques de modernisation pour stabiliser la zone. Cette fois-ci avec le développement économique au lieu d'une poigne de fer.

Le Sommet Chine-Asie centrale du 19 mai 2023 à Xi'an.
Voilà que les échanges avec les Stans sont une fois de plus fondamentaux. Selon les données douanières, la région de la Chine occidentale a vu son commerce extérieur avec les 5C augmenter de 92,2% à 75,11 milliards de yuans (environ 10,7 milliards de dollars) au cours des quatre premiers mois de l'année. Pas seulement. La confirmation de l'extension du « corridor économique Chine-Pakistan » à l'Afghanistan remonte à quelques semaines seulement. On ne sait pas encore exactement quand, mais l'inclusion de l'émirat taliban dans le gigantesque projet - le plus important en termes d'investissement de toute la nouvelle route de la soie - montre que Pékin veut à nouveau miser sur le "cœur de l'Asie". En ce sens, oui, la guerre russo-ukrainienne a sans doute ravivé les projecteurs sur l'échiquier centrasiatique.

À l’issue du Sommet, le Président Xi Jinping et les cinq autres Chefs d’État ont planté six grenadiers, témoin des échanges amicaux millénaires entre la Chine et l’Asie centrale, symbol de leur solidarité et coopération et porteur de l’aspiration à un meilleur avenir de leurs relations.
Parmi de nombreux accords de coopération signés à Xi'an, se distingue celui pour le développement de la route du Transport International Transcaspienne (Titr), le soi-disant Corridor du Milieu, vers lequel l'Europe se tourne également avec une attention croissante pour contourner la Russie et relancer les échanges avec l'Extrême-Orient en passant par l'Asie centrale, la mer Caspienne, le Caucase et enfin la Méditerranée. Il s'agit d'une initiative infrastructurelle qui vise le développement des ports et des chemins de fer, née il y a dix ans à l'initiative des pays du Caucase et de l'Asie centrale dont le Kazakhstan d'abord. Le projet a refait surface depuis que l'invasion russe de l'Ukraine a incité les pays européens à expérimenter des voies de transport alternatives pour le commerce avec la République populaire et l'Asie du Sud-Est. D'un point de vue géographique, le Corridor du Milieu représente la route la plus courte entre la Chine occidentale et le Vieux Continent. Il permet surtout d'éviter l'utilisation du réseau ferroviaire russe et d'éviter les sanctions imposées par l'Occident.

Il reste encore quelques nœuds à dénouer. Le premier est technique : si les circonstances géopolitiques semblent favoriser cet axe, celui-ci ne représente actuellement qu'environ 5 % des échanges ferroviaires intercontinentaux, et les infrastructures restent encore relativement peu développées. Sans oublier que les nombreux passages frontaliers, les transbordements et les différents régimes tarifaires augmentent les coûts et les temps de déplacement. Le deuxième obstacle est lié à la sécurité. Depuis 2018, 156 manifestations anti-chinoises ont eu lieu au Kazakhstan, dont beaucoup étaient motivées par le mécontentement face à l'influence économique et politique croissante de Pékin dans le pays. Et puis - véritable anathème de Pékin - le spectre du "terrorisme, du radicalisme et du séparatisme ethnique" continue de planer. Le maintien de la stabilité en Asie centrale est devenu plus difficile après le retour des talibans à Kaboul. D'autant plus que Moscou, trop distraite par la guerre en Europe, semble aujourd'hui moins encline à remplir la tâche traditionnelle de « garant de la sécurité » régionale.
En résumé, dix ans se sont écoulés depuis le lancement de la Nouvelle Route de la Soie, les défis restent nombreux. Mais, malgré les risques, la Chine semble plus déterminée que jamais à étendre les frontières de son "empire" économique et à nouer de nouvelles alliances internationales.